Il y’a des télescopages entre passé et présent qui ne tournent pas forcément à l’avantage d’aujourd’hui. Hier, dans la même journée, j’ai visionné seul Battement de cœur (1940) d’Henri Decoin puis en famille Bridget Jones : The Edge of reason de Beeban Kidran (2004). Peu de points communs entre ces deux films si ce n’est dans les deux cas la priorité (pas si fréquente que cela) donnée au personnage féminin et une histoire d’amour cherchant à faire fi des barrières sociales (Arlette est évadée d’une maison de redressement et Pierre de Rougemont, attaché d’ambassade, Bridget est journaliste télé et Mark Darcy, avocat ayant fréquenté Eton). Autant le dire tout de suite, Bridget Jones 2 est un condensé de tout ce qui ne va pas dans la comédie romantique (ce mot de romantique est utilisé avec tellement d’abus dans le film que je promets de ne plus l’écrire) hollywoodienne contemporaine : politiquement correct à tous les étages (Darcy est un avocat spécialisé dans les Droits de l’homme, entre dix exemples), ethnocentrisme qui donne la nausée (les détenues thaïllandaises sont incapables de parler correctement l’anglais mais elles accueillent comme un don du ciel les exemplaires de Men Come from Mars, Women Come from Venus dont Briget se débarrasse avant de quitter sa geôle), sexualité "popote" sous des airs d’attitudes dessalées (lorsque Rebecca fait son coming-out lesbien, Bridget la regarde comme une bête curieuse) et bande-son tellement chargée de « pont aux ânes » discographiques que même les programmateurs de Chérie FM n’en voudraient pas pour leur playlists. Les seconds rôles sont de plus systématiquement traités par le mépris. Ils ont à tout le mieux une ou deux punchline pour leur donner l’illusion d’exister et puis basta. Les gags, ce sont les mêmes que dans le premier volet (le popotin de Bridget, les fantasmes de Daniel Cleaver (Hugh Grant, seul minime intérêt de l’affaire) sur les culottes larges de Bridget) tandis que le dénouement offre une curieuse conception de l’évolution des aspirations féminines : un mariage, sinon rien !
En regardant ces images laides défiler devant moi, j’avais honte, honte de proposer ce spectacle minable à ma fille de 12 ans. J’aurai préféré cent fois revisionner avec elle Battement de cœur vu le matin même. Mais il lui aurait fallu passer outre le noir et blanc et une langue telle qu’on ne la parle plus guère dans les cours de récréations. Malgré tout, je reste persuadé que le pari n’était pas perdu d’avance. Primo car Danielle Darrieux n’est pas Renée Zellwegger qui, lorsqu’elle a épuisé ses deux mimiques favorites ( l’ébahissement et la connivence), n’a strictement plus rien à dire. Secundo car Henri Decoin était un cinéaste élégant (et j’espère que vous ne m’en voudrez pas d’évoquer Lubitsch, au moins celui de Trouble in Paradise) qui connut la chance de n’avoir pas un cahier des charges l’obligeant à filmer au moins 17 marques fameuses par minute et qui se paya le luxe de démarrer Battement de cœur par un plan séquence magistral (la salle de classe d’Aristide, pas si loin de Zéro de conduite). Tertio car le scénario sait habilement transposer le mythe de Cendrillon sans faire de la souillon une incurable demeurée et quattro car l’immoralité du propos (une jeune fille doit voler pour pouvoir se payer un mariage blanc, acquérir des papiers et ainsi devenir honnête) nous ramène du côté du meilleur Guitry (celui du Nouveau Testament ou du Roman d’un tricheur). Et enfin, et c’est sans doute ce qui m’enchante le plus, car chaque second rôle est admirablement caractérisé ( disons, pour faire bref que Decoin a disposé de rien moins que Carette, Saturnin Fabre et l’ineffable Jean Tissier).
A la fin de Battement de cœur, on se marie aussi mais c’est la petite voleuse qui se métamorphose en Dame et pas la célibataire prête à toutes les concessions pour devenir captive.
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