Kirsten can't speak french
Boycotter toutes les télés, s’abstenir de lire les critiques, ne condescendre à aucune interview. La mission tenait de l’impossible et pourtant, à une entorse près (la lecture de l’article de jean Châlon, un tissus de calomnies dans le Nouvel Observateur), je m’y suis conformé. Je suis parvenu au cinéma ( l’Olympia à La Rochelle), quasi vierge de points de vue entendus sur le troisième film de Sofia Coppola, Marie Antoinette.
D’emblée, quelque chose qui n’est pas anodin fâche. Marie Antoinette parle à sa mère en anglais. Même Darryll F. Zanuck n’avait pas osé laisser s’exprimer les officiers allemands autrement que dans leur langue d’origine. Mais à la Cour de Marie-Thérèse, revue et corrigée par Sofia Coppola, l’allemand n’a pas droit de cité. Décidément, cette langue n’a pas de chance, systématiquement niée alors qu’on s’apprête à jouer la plus fameuse compétition sportive sur le lieu de sa naissance (comparons le nombre de journalistes qui ont parlé de Weltmeisterschaft à ceux qui se gargarisaient du mundial au moment de la coupe du monde mexicaine). Quant au Français, dont je rappelle à Mademoiselle Coppola et à mes plus jeunes lecteurs qu’au dix-huitième siècle, même finissant, elle était la langue la plus en usage dans les Cours européennes* et qu’on se faisait une joie et un devoir de la bien parler, et bien, on ne l’entend guère plus. Deux-trois exclamations pour faire couleur locale et puis c’est tout. J’entends bien que distribuer ce film en français aux Etats-Unis tenait du suicide commercial mais voilà, à partir de là, tout le projet même du film me semble invalidé. Comment faire comprendre les difficultés d’adaptation de la jeune Dauphine à la Cour de France si d’entrée, on gomme la peine qu’elle a dû éprouver à parler une langue différente ? Sans doute c’était son film et elle était libre de laisser s’exprimer ses personnages comme bon lui semblait mais on peut aussi s’interroger sur cette liberté qui fait fi de toute contrainte, ne serait-ce qu’historique. Car en niant le français (et cette absence est rendue encore plus vexante par l’utilisation d’acteurs francophones massacrant l’anglais) et l’allemand, Sofia Coppola nie les problèmes du rapport à l’autre et se condamne à n’offrir au spectateur rien de plus qu’un caprice d’enfant gâté. Cette logique capricieuse, elle la poursuit hélas sur le terrain de l’illustration musicale. Comme s’il semblât inimaginable qu’on proposât uniquement aux spectateurs du vingt-et-unième siècle du Rameau ou du Couperin, Sofia Coppola impose sa pop touch** sur les deux tiers du film. Cette musique, je l’apprécie tout comme elle mais pas dans ce contexte là. Désolé, mais lorsque l’aristocratie se divertit au son d’un standard New Wave, je trouve ça terriblement faux.
Dans un esprit similaire, je préfère ne pas m’étendre sur les anachronismes, les erreurs grossières ( Louis XVI n’a certainement pas appris l’annonce de la Prise de la Bastille un après-midi en prenant le thé et nul doute que Marie Antoinette ne soit restée très chaste avec Fersen), les raccourcis lapidaires (les causes de la Révolution expédiées en trente secondes, Fersen filmé comme s’il était au Pont d’Arcole), les poncifs (ah Louis XVI serrurier, elle n’a pas pu s’en passer !) et les à peu près (Joseph II a 35 ans en 1776 pas la presque cinquantaine) qui participent de cette reconstruction de l’histoire à sa façon.
Si tout cela était compensé par une leçon de cinéma, on serait prêt à laisser au vestiaire une partie de ses réflexes de prof d’histoire grincheux mais là aussi malheureusement le bât blesse. Les bonheurs de mise en scène se sont mués en tics et si je sais apprécier à sa juste valeur la vision de Marie Antoinette et de ses suivantes parties voir se lever l’aurore, je sais aussi que la même scène se trouvait en infiniment plus convaincant dans Virgin Suicide. Quelques plans réellement réussis (principalement ceux qui tournent autour des étoffes et des perruques) ne peuvent faire oublier un dix-huitième siècle essentiellement fantasmé (même Marie Antoinette lit Rousseau) qui n’est qu’un prétexte pour filmer une jeune femme d’aujourd’hui : Kirsten Dunst ( influençable, bonne fille au fond, elle n’a ni l’esprit que lui prête La Fayette (qui l’a connu à ses dépens), ni le charme altier des peintures de Madame Vigée Lebrun) mais certainement pas Marie- Antoinette. Alors, évidemment tout ne sonne pas faux dans ce film (Marie-Antoinette a vraiment été harcelée par sa mère sur son absence de grossesse et Mercy Argenteau retraçait tous ses faits et gestes à l’impératrice d’Autriche) mais, comme disait Paul Valéry, « le mélange du vrai et du faux est toujours plus faux que le faux ».
J’avais trop aimé Virgin suicide et Lost in translation pour ne pas attendre énormément de Marie Antoinette. C’est sans doute dans cette attente déçue qu’il faut comprendre une partie de mon aigreur mais je demeure convaincue que Sofia Coppola avait largement les moyens de réaliser autre chose que ce bel objet glamour mais si vide d’émotions.
* : comment ne pas conseiller sur ce sujet Quand l’Europe parlait français de Marc Fumaroli ?
** : pour ceux qui ne partagent pas mon avis, un petit tour s’impose sur le billet d’Indie-Boy traqueur en date du 8 mai.
P.S : Enfin, à ceux qui veulent approcher l’Autrichienne pour de vrai et pour le prix de trois places de cinéma, la passionnante Histoire de Marie-Antoinette par les frères Goncourt dans la collection Bouquins.
1 Comments:
"vide d'émotions" ?
on n'a pas vu le meme film alors !
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